Tout le monde le dit : Il est évident qu'allumer l'éclairage de nuit est source de sécurité.
Tout le monde, sauf les statistiques !
Petit voyage au pays des idées reçues et des croyances populaires : qu'en est-il vraiment ?

(in)sécurité

sécurité :


insécurité :

Déjà tout petit...

Tout commence dès l’enfance, c'est intrinsèque à notre évolution : dès 1 ans arrivent les terreurs nocturnes qui sont inconscientes et dûes à la mise en place des rythmes biologiques. C'est surtout terrifiant pour les parents, parce que l'enfant ne s'en souviendra pas au réveil. La phase du sommeil est le sommeil profond.
Puis vers 2 ans commencent les cauchemards. Eux sont dans une phase consciente : le sommeil "paradoxal". C'est pour cette raison qu'il est possible de s'en rappeler après le réveil.
Les deux phénomènes se produisent pendant le sommeil, généralement la nuit, l'association "nuit = cauchemard" devient évidente. Les adultes parlent de "terreurs nocturnes". La machine est lancée.
Après ce beau début, ajoutons maintenant les contes pour enfants, et les légendes.

Contes et légendes


Les jeux, contes et légendes apportent leur pierre à l'édifice.


    Loup devant la lune

On constate que la nuit est très propice à laisser s'exprimer l'imagination. Souvent, en lien avec des histoires effrayantes, des crimes.
Rappelons un détail évident mais totalement ignoré : les yeux des humains sont optimisés pour voir de jour. La nuit, en faible luminosité, ils sont très peu efficaces. Un autre sens prend alors le relais : l'ouie.
On observe un phénomène nommé hyperacoustie. Peu habitué à utiliser nos oreilles, le moindre bruit est perçu comme étrange et anxiogène.

La TV et le cinéma ne font rien pour arranger les choses. Le maître du suspense, Alfred Hitchkock, a beaucoup utilisé les scènes sombres, dans le noir et la nuit. Justement pour laisser l'imaginaire faire le travail !
Le film "noir" a pris son essort grace à lui.

Le poème de Maurice Carème, qui contient la phrase : "Minuit, l’heure du crime...".
Il a donné naissance au jeu qui consistait à trouver une fin à ce début "Minuit, l'heure du crime..." : l'assassin sort son couteau... et se beurre une tartine.
Repris en jeu par des milliers d'enfants, la phrase reste dans la culture populaire, mais l'origine se perd. Seul l'idée perdure.

Dans la culture et le language, on notera des détails intéressants. Le mot latin "obscurus" signifie "vers l'ombre". Ce mot a évolué de plusieurs façons. Citons par exemple :

Les deux termes sont étymologiquement proches et montrent clairement l'association entre l'absence de lumière et la peur et l'inconnu.
On connaît aussi les termes de "magie noire" ou "messes noires", en référence à des pratiques malveillantes à l'égard de personnes. Encore une fois, dans l'inconscient collectif, l'association entre obscurité et danger est réalisée. C'est un point de vue très ethnocentrique et majoritairement faux.

Et en ces temps obscurs, quand la magie noire faisait son oeuvre, il aura fallu attendre le siècle des lumières pour faire avancer la connaissance et donc faire reculer l'inconnu. On voit encore une appellation qui utilise la notion d'obscurité et de lumière au sens figuré, mais qui reste ancré dans l'esprit de tous.

Le lien entre l'absence de lumière et les actions
Les cambriolages se font la nuit. Je connais quelqu'un qui dormait quand les cambrioleurs sont entrés chez lui ! c'est bien la preuve !
Et bien...non. C'est un exemple, qui va induire un ressenti, mais certainement pas une statistique.

Justement, parlons statistiques.
Les vols avec violence sont à 64% réalisés de jour, 36% la nuit.
Les vols sans violence sont à 74% réalisés de jour, 23% la nuit.
Les études indiquent que la majorité des cambriolages se déroulent la journée. La raison est simple : les malfaiteurs n’agissent en général que lors que la maison est vide.

source : Verisure
Ce sont les moments où vous partez au travail, quand vous allez récupérer les enfants à l’école, bref, quand vous êtes absent.
Le jour, de 6h à 18h : 87%, la nuit : 13%.
Source : Ministère de l'intérieur

Éclairer pour rassurer et surveiller

Au-delà de ses apports en termes de circulation, la visibilité est un outil de contrôle social, et l’action d’éclairer la ville une mesure de police qui sécurise les personnes et les biens durant la nuit.
Que l’éclairage urbain comporte une part non négligeable d’enjeux de sécurisation des personnes, des déplacements et des biens dans la ville nocturne est indéniable.
Qu’il participe du sentiment de sécurité chez de nombreux usagers des espaces nocturnes et permette ainsi un plus grand investissement des espaces publics urbains est compréhensible.
Pour autant, les liens entre nuit et insécurité, lumière et sécurisation ne sont pas si simples et certainement pas mécaniques.

Je prendrai appui, pour illustrer la complexité de ces liens, sur les travaux d’inspiration féministe qui opèrent une approche genrée de cette problématique et révèlent les divisions sociosexuées qui traversent l’espace nocturne et le mettent en tension.
Ne visons pas l’exhaustivité, mais renvoyons aux recherches de Stéphanie Condon, Marylène Lieber et Florence Maillochon, qui nous rappellent que les contraintes imposées aux femmes par le monopole masculin des espaces publics ont aussi leurs dimensions temporelles.
Ce qui me semble particulièrement intéressant ici, c’est que leur analyse de l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France souligne que « certaines appréhensions subsistent au grand jour » :
Si une petite majorité des femmes enquêtées (entre 45 % et 55 %) ne sont pas effrayées à l’idée de sortir seules, une proportion non négligeable exprime toutefois une inquiétude par rapport aux déplacements, notamment la nuit.
Plus nombreuses encore sont celles pour qui sortir seules à ce moment implique un choix d’itinéraires, de quartiers à traverser.
De toute évidence, c’est la nuit qui concentre les peurs de sortir, quel que soit le lieu.
Certains espaces évoquent pourtant des dangers à tout moment de la journée : par exemple, près d’une femme sur cinq évite d’aller dans un endroit peu fréquenté.

Si un lien entre « la nuit » et les pratiques spatiales des femmes est clairement établi, la question de l’obscurité ne semble pourtant pas si prégnante face aux effets de la dimension sociale – et donc construite – de la nuit :
C’est la nuit qui évoque tous les dangers, le moment de la journée où une femme ne devrait pas se retrouver au-dehors, seule.
Si se retrouver dans un endroit mal éclairé peut être source d’angoisse, il est suggéré également qu’il y a peut-être une heure de la journée au-delà de laquelle il est déconseillé – ou mal vu – d’être seule au-dehors.
Hille Koskella a étudié le sentiment d’insécurité des femmes dans la ville d’Helsinki, où les nuits d’été sont claires alors que les journées d’hiver sont sombres et courtes.
Il s’avère que les Finlandaises ne font aucune différence en termes de danger entre les nuits d’hiver et les nuits d’été.
Ce n’est donc pas le manque de lumière qui incite les femmes à rester sur le qui-vive, mais la dimension sociale de la nuit.

Pourtant, la force de l’habitude continue de faire de cet enjeu sécuritaire l’un des premiers arguments avancés en faveur du déploiement de l’éclairage public.

Extrait de “Samuel Chaléat – Sauver la nuit”, p121-122

On voit plus avec moins de lumière !


Cf. dans la littérature les études montrant le lien entre éclairage et sentiment de peur.